Quelle allocation d’actifs immobiliers dans un régime de forte inflation ?
Le contexte macroéconomique actuel, marqué par une forte inflation post-Covid exacerbée depuis février par la guerre en Ukraine, se traduit par un retour des banques centrales à la manœuvre. La réserve fédérale américaine a tiré la première, montant ses taux directeurs de 0% à 4% en l’espace de quelques mois. La BCE n’est pas en reste, avec une multiplication par 4 de son taux d’intervention en 3 mois (de 0,5% fin juillet à 2% début novembre). Mécaniquement, les taux longs se tendent par effet de capillarité : autour de 4% pour le taux 10 ans américain, 2,60% pour le taux de rendement de l’OAT 10 ans qui était encore proche de 0% en début d’année. L’impact de ces hausses de taux spectaculaires sur l’immobilier a été net, en particulier sur l’immobilier coté résidentiel, de bureaux et de logistique -les segments qui avaient le moins souffert de la crise du Covid-19-, avec des corrections de prix de 10% à 20% sur l’année 2022.
Sur le marché des bureaux physiques dans le quartier central des affaires parisien (Paris QCA), celui dont les prix ont le mieux résisté depuis le début de l’année, la prime de risque entre le taux de capitalisation des actifs « Prime » et l’OAT 10 ans s’est effondrée, passant de 2,7% fin 2021 à seulement 0,2% en octobre 2022. Cette situation est-elle tenable dans la durée ? Plus généralement, quelle allocation en immobilier privilégier en régime de forte inflation ?
Les repères historiques des cycles immobiliers récents correspondaient à un régime de faible inflation
Les 30 dernières années correspondaient à un régime de faible inflation, ce qui ne permet pas de tirer des conclusions pertinentes quant au lien historique entre le taux de l’OAT 10 ans et le taux de rendement des bureaux « prime » à Paris intra-muros. En effet, la dynamique historique des taux d’intérêt rapportés à ce taux de capitalisation des bureaux « prime » établirait un niveau « théorique » d’environ 4,5% pour ce dernier lorsque l’OAT 10 ans est à 2,60%. Or le prix actuel de cette typologie d’immobilier offre un taux de rendement de seulement 3% aux investisseurs : en 2 ans, ce taux n’a progressé que de 25 points de base, alors que l’OAT a pris quasiment 300 points de base. Cela signifie-t-il que ce marché est 30% trop cher et qu’il va fortement corriger dans les trimestres à venir ? Probablement pas, les investisseurs sur cette typologie d’immobilier étant bien souvent des grands fonds d’investissement ou des institutionnels aguerris. Ils n’ont donc aucune raison de payer trop cher un actif qui devrait théoriquement se dévaloriser de 30%. Il faut en réalité chercher ailleurs l’explication de ce taux de rendement « anormalement » bas pour les bureaux parisiens.
Il est nécessaire d’intégrer l’indexation anticipée des loyers à la prime de risque faciale de l’immobilier
La classe d’actifs immobilière peut se comparer à un placement obligataire par certains aspects comme la récurrence des cash flows (loyers pour l’immobilier, coupons pour les obligations), nonobstant le risque de crédit associé à chacun de ces supports d’investissement (défaut de l’émetteur pour une obligation, carence de loyer pour un actif immobilier). Mais il existe néanmoins une différence fondamentale entre ces deux classes d’actifs : l’immobilier bénéficie d’une indexation théorique des loyers sur l’inflation, alors que les obligations sont la plupart du temps à coupon fixe.
En période de forte inflation, cette différence devient bien entendu fondamentale et joue en faveur de l’immobilier. Il faut cependant garder à l’esprit que l’indexation des loyers immobiliers sur l’inflation dépend dans une certaine mesure de la capacité des locataires à encaisser cette augmentation de leurs coûts. Les locataires des secteurs économiques les plus fragiles (selon le contexte) peuvent en effet implicitement conduire les propriétaires concernés à déconnecter les loyers facturés des indices officiels de revalorisation (IRL pour le résidentiel, ILC pour les locaux commerciaux, ILAT pour les bureaux et les locaux d’activité) pour éviter le risque de carence locative -départs de locataires ou impayés de loyers-.
Sur les secteurs immobiliers les plus solides comme le marché des bureaux « prime » dans Paris QCA, il est évident que les locataires peuvent sans problème « suivre » l’indexation réglementaire des loyers. Or la progression de l’ILAT est aujourd’hui mesurée à 5,3% (T2 2022 par rapport à T2 2021) et devrait culminer à 5,8% à la fin de cette année, avant d’atterrir en douceur sur des niveaux proches de 3% fin 2023. Par conséquent, la prime de risque implicite de cette typologie d’immobilier liée à la revalorisation anticipée des loyers est de 2,5% en octobre 2022 selon BNP Paribas Real Estate. Si l’on ajoute une prime de risque « faciale » (ou spread de rendement immédiat) de 0,4% par rapport à l’OAT 10 ans (3% - 2,60%), on obtient une prime de risque globale de 2,9%, soit un niveau proche de ce que l’on pouvait observer en 2014 avant que l’OAT 10 ans entame sa descente historique vers des rendements négatifs (point bas de -0,5% sur l’OAT 10 ans en 2019).
Quels actifs immobiliers privilégier dans son portefeuille ?
Le régime de forte inflation actuellement en vigueur ressemble par bien des aspects à celui qu’on a connu dans les années 1970. En effet, le niveau d’inflation a récemment dépassé 10% dans la zone euro et est de l’ordre de 8% aux Etats-Unis. On semble durablement sorti de la fourchette [0% - 3%] qui était considérée comme un régime normal d’inflation depuis le début des années 1990. L’action agressive des grandes banques centrales laisse d’autre part penser que l’on pourra éviter un régime d’hyperinflation (durablement > 10%), comme le connaissent structurellement certains pays émergents pâtissant de monnaies fragiles comme l’Argentine ou la Turquie.
Les économistes et les théoriciens financiers s’accordent à reconnaître que les actifs financiers et immobiliers réagissent très différemment en régime de forte inflation par rapport à leur comportement usuel en régime « normal ». Les habitudes prises depuis 30 ans en termes d’allocation d’actifs vont donc devoir être revues en profondeur. Sur l’immobilier, le nouveau paradigme doit tenir compte du fait que c’est la classe d’actifs la plus polarisée sur l’inflation. D’autre part, concernant les actifs financiers, la décorrélation entre actions et obligations a tendance à disparaître en période de forte inflation, ce qui rend d’autant plus importante la réflexion à mener sur l’immobilier où les plus grandes réserves de diversification pourront être exploitées.
Pour sélectionner les actifs immobiliers les plus résilients sous le régime actuel de forte inflation qui s’annonce durable dans un monde plus fractionné, il faut d’emblée écarter ceux dont la performance était majoritairement basée sur la compression des taux de capitalisation et privilégier ceux bénéficiant d’une solide dynamique des loyers. D’autre part, les cycles économiques en période d’inflation élevée ont tendance à être d’ampleur plus forte, générant une volatilité supplémentaire sur l’ensemble des actifs avec un ratio rendement / risque globalement moins favorable. Il faut donc dans ce contexte écarter les actifs immobiliers les plus risqués et favoriser dans son allocation les actifs « core ».
En termes de typologie d’actifs, le résidentiel tirera son épingle du jeu comme valeur refuge, assis sur de très bons fondamentaux et une pénurie d’offre bien placée, avec cependant un point de vigilance lié à la forte hausse prévisionnelle des taux de crédit immobilier qui pourrait affecter la capacité des ménages à financer leur acquisition. La logistique sera également à privilégier grâce à une bonne indexation des loyers (+12,2 % en glissement annuel au 1er semestre 2022 dans un panel de 21 pays comprenant 48 marchés, selon BNP Paribas Real Estate), à l’issue d’un nécessaire processus de « repricing » car l’engouement des investisseurs pour ce segment immobilier pendant la crise du Covid-19 a propulsé les valorisations à des niveaux très élevés. Les bureaux bien situés et offrant des services adaptés aux besoins des utilisateurs auront également un profil intéressant après une correction probable des valorisations. Enfin, certains actifs commerciaux comme par exemple les retail parks de périphérie ont très bien résisté à la crise du covid et maintiennent potentiellement une indexation efficace des loyers face à l’inflation.